Xi'an, journal de bord: le 5 août
Xi'J'ai souvent rêvé quand j'étais petite que mon lit, durant mon sommeil, se mette à rouler et m'emmène visiter le monde. Cette nuit, c'est ce qui s'est passé : je me suis endormie à Beijing et réveillée à Xi'An. Xi'An est une petite ville de trois millions d'habitants située au Sud-Ouest de Beijing. C'est beaucoup moins moderne, et si les rues ne sont pas plus sales, les bâtiments donnent à la ville un air pauvre et fatigué. La ville est entourée d'une muraille épaisse, tous les bâtiments plus hauts qu'elle doivent être construits à l'extérieur. L'absence de gratte-ciel et l'abondance d'arbres au bord des rues donne à la ville un aspect paisible et agréable. On trouve derrière tous les trottoirs de minuscules magasins de cerfs-volants ou de nouilles.
La ville a été capitale impériale pendant cinq dynasties, et représente donc un intérêt historique et culturel important. C'est aussi la ville natale de Fan Hui, et il la connaît comme sa poche.
Après un petit saut à l'hôtel (où les petits déjeuners sont déjà plus digestes), nous avons repris le car jusqu'à la région où a été enterré le premier empereur (mort en 210 acn) - sa tombe et l'armée de terre cuite qui la protège constitueraient la huitième merveille du monde. Son tombeau est caché sous une grande colline qui ne laisse rien soupçonner : l'empereur avait préparé huit tombes à travers la Chine pour brouiller les pistes. Il faut savoir que les rituels funéraires ont toujours eu beaucoup d'importance dans la culture chinoise - et que le premier empereur était du genre à se prendre au sérieux. Des centaines de milliers d'ouvriers ont travaillé à creuser le tombeau et ceux qui ne sont pas morts pendant les travaux ont été emmurés vivants pour conserver son secret.
Le tombeau n'a jamais pu être ouvert : le cercueil est posé sur une reproduction miniature de l'Empire, et pour figurer les fleuves, du mercure a été utilisé. Le mercure coule donc depuis 2000 ans, et représente un danger pour les archéologues. Ca ne les a pas empêchés d'observer le lieu à l'aide de caméras et d'en offrir aux touristes une impressionante réplique. L'après-midi, nous avons visité l'armée de soldats en terre cuite qui accompagnait le défunt empereur ; quelques sept mille soldats et chevaux ont été enterrés près de sa tombe, car il avait été décidé de ne plus recourir au sacrifice humain. Ce chef-d'oeuvre révèle que les Chinois connaissaient bien avant Taylor le travail à la chaîne, car les corps des soldats sont tous les mêmes (on pense d'ailleurs que c'est le format normalisé des armes des Qin qui a permi leur victoire sur les autres tribus pourtant largement surnuméraires), bien que leurs têtes soient toutes différentes (façonnées par un artiste, cela accentue le réalisme). On a aussi pu désapplatir des chars de bronze trouvés sous les décombres. L'armée en terre cuite nous permet d'avoir aujourd'hui un beau panorama de l'organisation militaire de l'empire Qin.
Le soir, un ami du père de Fan nous a invités dans un restaurant super classe pour un souper très copieux et très très bon. C'est là que j'ai appris qu'on servait souvent de l'eau tiède aux invités, car la médecine chinoise recommande de boire avant chaque repas une tasse d'eau à la température du corps. Ce n'est pas très bon. Par contre, le repas était vraiment délicieux, et c'était un repas à rallonge, chaque fois qu'on se disait qu'on n'avait plus faim les serveurs rapportaient un plat encore meilleur que le précédent, et nous avons découvert de nombreuses saveurs neuves et exquises.
En nous balladant dans la rue de nuit, nous avons découvert une atmosphère animée et agréable ; une dame chantait, et plus loin on pouvait écouter une chorale et un orchestre traditionnels ; tous les petits restaurants avaient sorti leurs tables et présentaient de la nourriture (nouilles et fruits frais mais aussi têtes de chien, larves ou insectes) aux passants.
Plus tard dans la soirée, le père de Fan nous a invités dans son bureau pour boire du thé. Comme il cultive ses propres plantes de thé, il peut cueillir pour lui et ses amis les plus petites feuilles, qui font le thé le plus délicieux. Moi-même, qui déteste le thé vert, j'ai peu en boire plusieurs gorgées avant de me lasser. Son bureau est un endroit exotique et délicat, les murs sont couverts de calligraphies et de peintures chinoises, il y a un aquarium avec des poissons rouges (symbole de longévité, d'après la guide), un petit autel à (Bouddha ? les ancêtres ?) avec des raisins en offrande, des mappemondes, un goban, et surtout, une table basse où est posé tout le matériel nécessaire à la préparation du bon thé. Bien qu'on ne puisse pas parler de cérémonie du thé comme au Japon, les gestes de notre hôte suivaient un rituel précieux qui lui permettait de nous servir le thé (gorgée par gorgée, dans de minuscules bols, à l'aide de minuscules théières), à la température parfaite. Il gardait les mêmes feuilles d'une fois à l'autre, mais le degré d'amertume et de parfum variait au fil des infusions, et si la première tasse était délicieusement légère, j'ai finalement dû laisser tomber les dernières tournées tant le thé devenait amer.