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Carnet de voyage d'une joueuse de Go belge en Chine
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30 août 2009

Shanghai, le 30 août

Il a fait très frais cette nuit, j’ai dû me lever pour prendre une couette, à ma plus grande surprise. Une vague de froid a recouvert la Chine et il fait 5°C dans le Nord. Ici à Shanghai, il fait 21°C, ce qui est quand même froid par rapport à nos habitudes. Moi, je suis contente.

Je suis arrivée vers 9h au Penglai Gongyuan, impatiente de rencontrer laoshi1².  Un vieux monsieur qui passait par là est venu me saluer, mais il ne parlait pas anglais et n’avait pas 80 ans, et il n’avait pas l’air  de marcher sur la Voie du Go avec philosophie, donc je me suis dit que ce n’était pas ce fameux laoshi1². Laoshi1 m’a mise sur tygem où je suis enfin 1k, et pendant que je jouais, un vieux monsieur est arrivé, m’a saluée en anglais, et s’est mis à fumer avec laoshi1 (ils fumaient tous les deux comme des Turcs et l’odeur de la cigarette me rappelait le Pantin, mon premier club de Go à Bruxelles).  Un autre monsieur est arrivé, il a regardé ma partie avec intérêt, puis laoshi1 leur a mis les dernières parties de Gu Li et ils ont commencé à discuter avec beaucoup d’animation pendant que je terminais sagement d’éclater des 1k sur Tygem. Quand je me suis retournée, il y avait trois vieux monsieurs d’environ 80 ans, qui kibbitzaient en shanghaien mais me parlaient en mauvais anglais ; j’aurais dû m’en douter, la langue chinoise est ambigüe, et laoshi1² est en fait trois personnes. Ce sont de  vieux amis qui n’arrêtent pas de se lancer des fleurs les uns aux autres. Au bout de quelques minutes, laoshi1²a me propose une partie. Laoshi1²b vient me réciter les titres et les victoires de laoshi1²a, et laoshi1²c approuve avec respect. Je prends trois pierres ; je les place à la mode chinoise, ce que tout le monde trouve normal, mais qui me met très mal à l’aise, parce que cette bête pierre au tengen elle ne me sert à rien de bon et c’est difficile d’avoir un fuseki cohérent… Au vingtième coup, la partie est déjà perdue d’une dizaine de points. Evidemment, je ne m’en rends pas compte, et ce n’est qu’au début du yose que j’abandonne. Laoshi1²a commente mon coup raté avec insistance et les autres laoshis de la salle confirment, l’air grave. Le petit 4d de 7 ans arrive – appelons-le Sérieux, parce qu’il ne sourit jamais et aussi parce que c’est bien fait pour lui d’avoir un nom qui évoque blanche-neige et les sept  nains.
Laoshi1 nous invite donc – Sérieux, laoshi1² et moi – dans un resto chinois classe juste à côté. Ils parlent en shanghaien et de temps à autre, ils me glissent un mot en anglais : laoshi1²a était prof universitaire dans une centrale agro-électrique (?), laoshi1²b était prof de bio à la grande unif de Shanghai, laoshi1²c a dix chats pour tuer les rats dans son jardin. Chaque fois qu’un nouveau plat arrive, à ma plus grande détresse, ils le font tourner jusqu’à ce qu’il tombe devant mon nez, et insistent pour que j’y goûte en premier. Le moins pire des plats est quand même pas très bon : ce sont des cacahuètes caramélisées avec un peu de viande fumée, qui baignent dans une espèce d’huile jaunâtre. On me présente comme du beefsteak un plat qui ressemble à un gâteau d’anniversaire : des fines tranches de poulet pané couvertes de frisottis de mayonnaise et – croyez-le ou non – de granulés de sucre multicolores. Je les regarde manger entiers les morceaux de gingembre qui garnissent les pruneaux, les jaunes d’œuf sous les morceaux de gras de porc, la salade coriandre-ail râpé, le bouillon de radis et de foie de poulet, et je finis par trouver du chou de shanghai et du riz blanc. Sauvée.

Les laoshi1² m’ont expliqué que l’école où je vais étudier, Shanghai Waiguo Yu Daxue, prend toujours la seconde place au championnat national des universités. L’équipe est composée de nombreux hauts dans et d’ex-inseis. Ils m’ont donné une carte de visite avec leurs noms, en disant qu’ils étaient très connus dans le monde du Go shanghaien, et que je devrais donner cette carte au responsable du club, comme une sorte de recommandation. Je ne suis pas sûre de voir où ils veulent en venir, mais voilà voilà. En tous cas ça fait plaisir d’apprendre que je pourrai jouer dans l’université où je vais.

Dans l’après-midi, les enfants du groupe  B sont arrivés, ainsi que d’autres vieux. Le parc était parcouru de nombreux promeneurs – sans doute grâce au climat moins étouffant que d’habitude – et mon nouvel adversaire semblait attirer le public. Il s’agissait d’un très très vieux monsieur dont les deux dents de devant, jaunes et très longues, couvraient sa lèvre inférieure ; comme il est 5d et qu’il a aussi des grandes oreilles entortillées, appelons-le laoshilapin. J’ai joué avec lui trois parties à handicap ; chacune a duré 1h30. Chacune m’a demandé beaucoup d’énergie, du début à la fin, et j’ai perdu la dernière sur des erreurs de yose parce que mon cerveau fumait à mourir. D’ailleurs c’était de la triche, ils étaient cinq ou six à jouer contre moi, les trois laoshi1² et le papa de Sérieux, et encore quelques passants, et ils se donnaient des conseils en shanghaien, en marmonnant entre leurs dents ou en criant très fort. Moi, par politesse, je n’osais même pas sortir de la pièce. Laoshi1 (j’ai appris qu’il s’appelait 石老师, ce qu’on peut traduire par Maître Pierre, et je trouve que s’appeler Pierre c’est tout un programme pour un joueur de Go) était occupé à papoter avec les mères des petits, toutes installées autour de la grande table ovale comme dans un salon de thé.

Vers 17h, le club a fermé ses portes. Je me suis retrouvée dans la rue, sans rien avoir à faire. Dépitée, je me suis dit que j’allais rentrer à l’appart, regarder un dvd en chinois et essayer de tout comprendre avec mon super dico – quand mon gsm chinois a sonné. C’est très bizarre parce que peu de personnes ont mon numéro. C’était Eric, qui allait visiter des galeries d’art avec sa copine, et qui m’invitait à les rejoindre. Trop chouette !! J’ai sauté dans le premier taxi et je me suis retrouvée à Moguanshan Lu, un quartier plein de galeries d’art contemporain. On peut se balader partout, regarder les tableaux, les sculptures, les photos, tout gratuit, et en plus les œuvres sont remplacées toutes les semaines ou tous les mois. C’était une balade très intéressante, j’ai vu des choses belles, fascinantes, choquantes, intrigantes, violentes, bien faites, et peu d’œuvres décevantes. Je ne saurais pas très bien comparer l’art contemporain chinois avec ce que je connais de l’art européen.

Après, on a mangé dans un resto japonais. C’était pas mauvais, et j’ai mangé ma première salade depuis un mois, ce qui fait très plaisir. Comme dans tous les restos japonais du monde, les serveuses étaient bien chinoises. Bon.

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