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Carnet de voyage d'une joueuse de Go belge en Chine

Carnet de voyage d'une joueuse de Go belge en Chine
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Derniers commentaires
5 septembre 2009

ALERTE déménagement ALERTE

Ce carnet de voyage a été entièrement déplacé vers http://edwondimariel.uniterre.com/ qui est un blog plus adapté à ce genre de texte. Veuillez changer l'adresse dans vos favoris. Si vous décidez recevoir mes articles par mail chaque jour (pourvu que je tienne le rythme), écrivez-moi un message.

Meilleures salutations

Marie

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3 septembre 2009

Shanghai, le 3 septembre

Chaque jour j’essaie qu’il m’arrive plein de trucs pour avoir quelque chose à vous raconter le soir. Mais ce matin je ne m’attendais pas à remplir plus d’une demi-page : « Je suis allée m’inscrire à l’université, j’ai acheté quelques bouquins d’anglais pour donner cours à mes élèves, j’ai mangé une pizza à midi (première fois depuis un mois que je mangeais du fromage avec un couteau et une fourchette), je suis allée me balader sur People’s Square et j’ai nettoyé mon appartement comme je déménage demain matin. » Mais en sortant de la station de métro au People’s Square, j’ai entendu un groupe de jeunes me héler : « Hello, hi, where are you from ? » C’étaient deux jeunes hommes et une jeune fille qui tenaient à me complimenter sur ma coiffure. Ils me posent des questions, on engage la conversation. Deux d’entre eux sont acteurs dans une série chinoise très connue que je ne connais pas, le troisième est électricien. On se met à parler en chinois. Tu es seule à Shanghai ? Viens donc boire un thé avec nous. Je m’attendais à ce qu’ils m’embarquent dans une maison de thé bruyante et animée pour boire des tasses infâmes de tiges de thé vert ; au lieu de quoi on s’est retrouvés dans une toute petite pièce décorée de manière traditionnelle, assis sur de jolis tabourets en bois. Sur les murs, des peintures de joueurs de Go, et au fond, toute une étagère de thés de dégustation. Une jolie hôtesse va nous faire une démonstration de cérémonie du thé.

Elle joue quelques instants avec sa dinette de porcelaine et de verre, puis verse sur une grenouille trois bols de thé. La grenouille, c’est le dieu du thé, doté de trois pattes, et sur son dos de pièces de monnaie et de perles de couleurs qui symbolisent la chance. Il faut la caresser plusieurs fois, ça porte bonheur. Mes amis me traduisent ce que dit l’hôtesse et me disent aussi des carabistouilles, puis ils m’apprennent à dénoncer les carabistouilles en chinois.

Le premier thé : des feuilles de thé oolong roulées avec du ginseng. C’est bon pour le cœur, les poumons et les reins. Le ginseng agit comme sucre naturel. Il faut tenir la tasse à trois doigts, le majeur par-dessous, la tourner trois fois et boire en trois gorgées. Ce thé a un parfum d’automne et de bois. Il laisse une forte  empreinte sucrée et douce. A peine a-t-il touché mes lèvres qu’il se répand en vapeurs chaudes jusqu’au fond de mon palais.

La deuxième tasse est un thé au jasmin. Il se présente en petites boules qui embaument la fleur séchée. Après l’infusion, les  feuilles s’ouvrent et s’étendent dans l’eau, s’étirent comme des nymphes. On peut les utiliser pour effacer des cernes. Le thé au jasmin est apprécié des femmes : il est bon pour la peau et aussi pour les yeux. Il est légèrement âpre et très parfumé. On le sert dans un bol haut qu’il faut renverser dans le petit bol d’un geste ample, sans laisser sortir une goutte. Après, on peut utiliser le bol haut pour sentir le parfum, se réchauffer les yeux, se masser les paumes et les tempes. Au milieu de la table, une partie du thé est versé dans une grande tasse. La soucoupe est la Terre. Le couvercle est le Ciel. Le thé symbolise la paix entre les hommes. J’aime beaucoup regarder les feuilles de thé s’ouvrir et danser lentement dans le bol quand tombe sur elles l’eau brûlante.
Pour le troisième thé, l’hôtesse choisit une tasse avec un dragon bleu ; le couvercle porte un phénix bleu. Il y a une histoire de poulets, d’hommes et de femmes. C’est un thé romantique. Quand elle le verse dans la tasse, les motifs changent de couleur. Quand elle passe la porcelaine sous l’eau, ils redeviennent bleus. C’est une technique mise au point il y a quatre siècles par des Chinois très intelligents. Le thé est rose, parfumé aux fleurs et aux fruits, très sucré. Au milieu, il y a un petit fruit rouge un peu acide. Mes amis me regardent : « puisque tu vas te marier quand tu rentreras en Belgique, bois-en beaucoup, tu auras des enfants. Tu veux onze enfants ? » Le thé me rend joyeuse. Je me revois, petite, les mercredis après-midis dans le jardin de mes grands-parents plein de couleurs fleuries. Cueillir des fruits rouges, les poser sur une grande feuille, aller en offrir à ma maman. Onze enfants ? Pourquoi pas… Chidan, Chidan ! Avoir onze enfants ! Tu manges des œufs, tu dis des carabistouilles ! Mes amis rigolent. Ils récapitulent, fascinés, mon arbre généalogique.

Le dernier thé arrive. C’est celui que j’ai choisi, un thé noir au lychee. Il a un goût raffiné et profond, apaisant. Pourquoi m’évoque-t-il les plaines de Sibérie ? Je ne les ai même jamais vues. J’ai acheté un thé noir au lychee près de Hangzhou, mais celui-ci n’a rien à voir. La Chine est grande, elle fait naître des millions de saveurs, chacune différente. Je suis heureuse d’être là avec ces gens que je ne connais presque pas. Mais toucher les portes du paradis, même du bout des lèvres, a un prix douloureux. Délestée de quelques billets, je me sépare de mes nouveaux amis et je me retrouve seule, près du People’s Square. Je vais m’asseoir au milieu des moustiques pour écrire, je regarde un peu de xiangqi,  je discute avec une vieille pendant que sa fille nous filme. Puis la journée reprend son cours, stupidement, je vais acheter de quoi nettoyer mon appartement, demain je déménage…

3 septembre 2009

Shanghai, le 2 septembre

J’ai peu dormi cette nuit encore : des piqûres  de moustiques et des problèmes d’argent m’ont tenue éveillée. J’attendais ce matin la visite d’un jeune 7d qui étudie dans la même université que moi, Nicolas. Je n’avais pour l’accueillir ni table ni chaise et pas même un goban ; alors je suis sortie, fatiguée de me désespérer derrière mon ordinateur à comparer les prix des transferts internationaux. En passant à la banque j’ai tout d’un coup trouvé une solution : je pouvais retirer directement sur ma carte belge, alors tout s’est arrangé d’un coup et je me suis mise à aller mieux. Je me suis trouvé d’urgence un petit goban à 15rmb au fond d’une sorte de quincaillerie de plastique.

Nicolas arrive vers 10h. Il regarde mes pieds, roses de piqûres de moustiques, gonflés d’excroissances irrégulières. Pris de pitié, il m’emmène dans le minuscule magasin où j’achète à boire, et il me trouve une petite bouteille d’un remède chinois qui sent bon et ressemble à de l’absinthe. En quelques secondes, mes démangeaisons s’apaisent et une sensation de fraîcheur se répand sur ma peau. Maintenant, je vais bien.

Nicolas me latte à six pierres, comme prévu. Il m’explique qu’il est membre de l’équipe universitaire de SISU, qui a gagné le championnat inter-universitaire cette année. Les joueurs y sont entre 7d et 3p. Il est aussi responsable du club de Go de SISU – qui se réunit malheureusement à l’autre bout de la ville. 

A 14h, je me rends à l’école où je vais donner des cours d’anglais. C’est une école maternelle – secondaire dépendante de SISU, où étudient quelques 2000 élèves. Les grands bâtiments spacieux sont bordés de terrains de sport où des classes rangées deux par deux, en uniforme, exécutent des mouvements sous les ordres d’un sifflet.

Mme Yang est ma responsable – ce qui est difficile à assumer parce qu’elle a l’air plus jeune que moi, avec sa petite taille et sa pétillance vive. Elle me montre les bâtiments puis m’offre un gobelet d’eau chaude. Je me mets, tout d’un coup, à devoir aimer l’eau chaude, parce que sa collègue m’observe. La responsable de l’enseignement et la sous-directrice viennent me rencontrer, puis elles ont une longue discussion en chinois sur mon programme. Elles ont l’air ennuyées  d’apprendre que je n’ai pas d’expérience d’enseignement. Moi, je tiens en main mon gobelet d’eau tiède à moitié plein. Puis elles me laissent seule avec Max, un jeune professeur d’anglais qui m’assistera  dans mes cours. Il s’excuse pour ses responsables qui parlent chinois très vite, et il me présente les livres avec lesquels il travaille. Il dit que les étudiants qui faisaient mon boulot les autres années n’étaient pas assez sérieux, et qu’il faudrait que je suive une vraie méthode pédagogique pour donner mes cours : introduction, stimulation, pratique. Je suis d’accord, et je suis aussi très contente d’être assistée par un vrai prof. Je me dis qu’enseigner pendant six mois, ça va être une chouette expérience. J’aurai des classes de 46 élèves – l’élite de chaque grade – qui ont, paraît-il, un anglais excellent. Je devrai préparer tous mes cours en ppt, et les faire relire par Mme Yang et Max ainsi que les feuilles à distribuer aux élèves. Je devrai donner trois cours par semaine, chacun durant deux heures, et accueillir les élèves le matin à la porte de l’école en leur parlant en anglais assez fort pour que les parents m’entendent parler anglais (question de réputation de l’école, c’est aussi pour ça que c’est important que je ne ressemble pas à une Chinoise).

Mme Yang me montre une photo du proviseur et, avec fierté, les photos des échanges avec les écoles jumelées aux États-Unis. Elle me fait admirer la discipline des élèves qui exécutent leurs danses militaires sur le terrain de sport. En chemin, elle me demande si je n’ai vraiment pas d’expérience avec les enfants. Bien sûr que si, je suis animatrice de camp d’été – disons, prof de vacances – et je suis aussi conteuse… Elle m’arrête là.

Pour les cours, elle dit  que je n’aurai pas besoin de bouquins ; je dois préparer des jeux et des activités pour encourager les élèves à parler anglais. Je lui explique ce que Max m’a dit, mais elle est formelle.

Ma chambre est plus spacieuse qu’une chambre d’hôtel, et j’ai de jolis draps de lits à fleurs mauves. Il y a une jolie cuisine, un salon, une télé, un ordi, une imprimante, et tout l’électroménager dong je peux avoir besoin, jusqu’au grille-pain et au sèche-cheveux. Elle m’explique que je suis la seule à habiter cet étage, prévu pour accueillir une trentaine de personnes. Je pourrais trouver ça confortable, mais ça me fout le cafard d’être entourée de chambres vides pendant cinq mois. Et puis je suis étonnée, je pensais ne pas être la seule dans ce programme. Peut-être qu’il y a un autre étage.

Je quitte l’école assez tôt pour me rendre au cours de laoshi2 de 16h30. Le niveau y est peut-être un peu bas, mais j’aime bien la manière dont laoshi2 donne cours, il est très explicite dans ses expressions et très pédagogique dans ce qu’il montre, si bien que je retiens tout ce qu’il dit même quand je ne comprends pas. Et puis j’aime bien cette école. On retrouve la même ambiance qu’aux cours de solfège du soir quand j’étais petite : des enfants fatigués qui courent et crient partout à la première occasion, une camaraderie mignonne, la faim patiente qui se réjouit du souper. Bon, la différence avec le cours de solfège, c’est que Maman ne s’est jamais tenue derrière moi pour me frapper avec un éventail si je chantais faux ou si je regardais par la fenêtre. J’aime bien aussi les pierres, des pierres de toutes sortes pêle-mêle dans des paniers de plastique rouge : des grosses pierres de verre ou de faux verre, des pierres japonaises en plastique, de fausses pierres de jade, des pierres ternies par la poussière qu’ont apportée tous les joueurs qui les ont tenues entre leurs petits doigts ; chaque pierre brille d’un éclat différent et, sur le plateau, elles se côtoient simplement, hétéroclites.

1 septembre 2009

Shanghai, le 1er septembre

J’ai eu beaucoup de mal à m’endormir hier soir. Je pensais à comment le monde est trop grand et trop petit, je pensais à mon fiancé qui m’attend de l’autre côté de la Terre, à ma famille et à mes amis, et puis à mes nouveaux amis à Shanghai. Tenez, regardez ce que j’ai appris en mangeant le meilleur poisson du monde. Wang Chao joue au Go sur DGS (serveur de Go en différé). Un jour, il a gagné une partie qu’il aurait dû perdre, parce qu’il a consacré énormément de temps à lire chaque séquence et chaque coup. Son adversaire était plus fort que lui, mais il avait vraiment envie de gagner, et finalement il a gagné. Il a gardé cette partie en tête parce que ça l’a impressionné, et c’est ressorti au cours du  repas. On a parlé encore un peu et j’ai réalisé  que son adversaire était Thomas Connor, un de mes amis bruxellois. Vous voyez comme le monde est petit ? Je rencontre par hasard un inconnu à Shanghai, et il se trouve qu’il a joué une partie contre un de mes amis belges.

Je rencontre pas mal de gens, mais je me fais mal à la solitude – c’est-à-dire à l’absence de ma famille, de mes amis, et surtout de mon fiancé. Et puis les seuls contacts physiques qu’on a par ici, ce sont les bousculades dans le métro… Les gens quand ils se disent bonjour ils se contentent de sourire, et ils se font de grands signes de la main quand ils se quittent. Pas de bisous, pas d’accolades, pas de câlins, rien. Moi, ça me laisse toute vide, seule, seule. J’imagine que c’est une habitude à prendre.

Vers midi je pars en quête d’un bol de nouilles. Le resto que j’aime bien est encore fermé, mais son voisin a l’air sympa aussi. J’entre, et je ne comprends rien à ce que la serveuse me dit. Je crie : MIAN ? elle me parle, je dis ha de, hao de, (traduction : NOUILLES ? … d’accord, d’accord). Je prends une bouteille de coca, elle me fait payer dix yuans et je m’assieds. J’attends un peu puis j’hésite. Ils vont vraiment me servir à manger pour 1€ ?

Je vois arriver un grand bol de nouilles, encore tout brûlant. Des cubes de carottes et de la ciboulette flottent à la surface, entre les champignons et les morceaux de poulet. La vie est belle.

Plus tard, je retourne au campus universitaire de Wang Chao. C’est un lieu immense, comme un jardin géant avec des buildings qui poussent partout, il y a de grandes pelouses, de terrains de sport, des petits coins ombragés avec des tables de pierre sous les bambous, et puis une rivière qui coule sous les fleurs de lotus. Je m’assieds sur la rive, et les moustiques font bonne chère tandis que je lis un bouquin. Finalement Wang Chao arrive. Il m’emmène dans un marché couvert où on trouve de la viande (n’entendez pas « paquets en plastique emballés avec date de péremption » mais « morceaux de chair animale étalés sur une table »), des fruits, des légumes, et des balais artisanaux (tout le monde utilise ces vieux balais de sorcière, même les techniciens de surface). Il achète de la viande (si si, il veut me faire manger de la viande achetée dans ce marché !) et me présente de nombreux légumes, dont la plupart n’ont pas de nom anglais connu d’un de nous deux. Il achète de la ciboulette et du « donggua » (cucurbitacée de l’Est, si ça vous dit quelque chose), qui est aussi large qu’une petite citrouille et très long, et qui se vend au centimètre.

Moi, hier en mangeant le poisson, j’ai pris une grande décision. Désormais, je ne serai plus effrayée comme une gamine devant tous les trucs biscornus que mangent les Chinois. J’ai pris cette décision quand, de toute la force de mes baguettes, je suis parvenue à arracher au poisson son intestin ou un truc qui y ressemblait, une sorte  de gros ver élastique et rebondi. J’ai crié et j’ai demandé à Wang Chao de cacher ce morceau douteux, puis j’ai inspecté le plat pour me choisir un morceau certifié bonnes mœurs. Mais au moment où j’ai porté le morceau choisi à ma bouche, où mes dents ont écrasé la chair tendre, brûlante et piquante du poisson délicieux, je me suis rendu compte que mon comportement sélectif d’Européenne était une forme de fermeture et me priverait certainement de plaisirs inconnus. Pendant des millénaires, les Chinois ont survécu aux intempéries et à la famine parce qu’ils acceptaient de manger du serpent, des racines, de la tête et des pattes de poulet. A présent, c’est un peuple fort, jeune et plein de vitalité, qui a transformé ces étrangetés comestibles en délices appréciables. J’ai pensé à tous les Chinois qui mangent de  l’intestin ou de l’œil de poisson et qui trouvent ça très bon. Et j’ai pris une décision : je ne pousserai pas le bouchon jusqu’à avaler l’intestin du poisson, mais désormais je n’inspecterai plus tout ce qui tombe entre mes baguettes. J’aime la Chine, j’aime les Chinois, et si je veux leur ressembler, je dois avoir leur simplicité et leur ouverture. Bon.

C’est comme ça que je me suis retrouvée, devant l’échoppe de fruits, à avoir envie de goûter de tout. J’ai acheté des petits fruits oranges qui ressemblaient à des tomates molles, des  « yeux de dragons » (lychees à la peau lisse), et une grenade. Le fruit orange était délicieux. La grenade m’est restée entre les mains pendant des heures, j’en mangeais de temps à autre un grain, le jus frais et sucré se glissait entre mes dents et je recrachais les pépins comme une vraie Chinoise – enfin j’avais le sentiment d’être Chinoise, parce que je mangeais un fruit qu’on ne trouve pas en Belgique et que je crachais dans la rue.

Wang Chao m’a fait entrer dans son dortoir d’étudiant. C’est une toute petite pièce ; en hauteur, il y a quatre lits sans matelas, en-dessous des lits, il y a des bureaux, entre les bureaux il y a tout juste la place pour une petite table. Le linge pend sous les lits, exhibant sans gêne le modèle des caleçons aux passants mais procurant étrangement aux bureaux une forme d’intimité. Du petit balcon, on peut admirer le jardin plein de palmiers et tous les autres immeubles identiques. Les sanitaires, tout dégueus comme des sanitaires de garçons que personne ne nettoie jamais, sont partagés avec plusieurs autres chambres. Je me sens toute gênée, trop grande, trop grosse, je suis de trop. Wang Chao m’assied derrière un goban et, tandis que je grignote mes grains de grenade, on joue au Go en attendant que de minuscules de légumes lyophilisés s’imprègnent d’eau et remplissent une grosse casserole. Comme on ne peut pas cuisiner dans le dortoir, on embarque fruits et légumes et on marche jusqu’à l’appartement où a lieu la réunion de prière d’une quinzaine de jeunes Shanghaiens chrétiens.

On monte des dizaines de marches dans un vieux building délabré, collé à plein d’autres buildings délabrés. Je regarde, sur les portes, les animaux grassouillets ou les dames bien en chair qui invitent à entrer avec des sourires charmeurs, le caractère du bonheur dessiné tantôt à l’endroit tantôt à l’envers (on le dessine à l’envers pour éloigner les démons), et tout d’un coup à un étage, des décorations de Noël, des sapins et des pères noël. C’est là. Deux jeunes filles nous accueillent dans un tout petit appartement à l’air sale. On tient difficilement à quatre dans la salle à manger. Je ne me rends pas encore compte qu’on y sera bientôt une quinzaine. On déballe les légumes, et les gens qui arrivent peu à peu apportent toutes sortes d’autres légumes. Je coupe, je nettoie, je coupe, j’épluche, je cosse des fèves, je discute. La plupart des gens qui arrivent sont des jeunes filles, il y a aussi trois jeunes hommes dont un Indonésien. Le syndrome de l’Européenne superstar reprend : c’est la première fois qu’ils parlent à une Belge. La plupart ne parlent pas anglais. Wang Chao assure un excellent rôle de traduction.

On apporte à table de nombreux plats, surtout des légumes, et la délicieuse soupe de Wang Chao. On essaie de mettre des tabourets partout autour de la table, mais c’est difficile de mettre tous les gens sur les tabourets, il y en a qui restent debout dans le couloir. Je demande aux filles autour de moi si elles savent faire les baozis, puisqu’apparemment c’est tellement délicat que les hommes n’essaient même pas. Certaines disent qu’elles sont juste assez douées pour aider leur mère. Il y en a une qui me promet qu’elle m’apprendra, dès qu’elle y arrivera elle-même. Moi, j’ai vraiment envie de savoir faire ces petits pains farcis à la vapeur avant de quitter la Chine.

Une jeune fille – apparemment la responsable – tient à noter toutes mes coordonnées, elle aimerait que je m’inscrive sur qq (le facebook chinois), elle veut fêter mon anniversaire à la fin du mois. Elle me dit que cette maison, c’est la maison des Chrétiens, qu’on est tous frères et sœurs en Jésus, que je suis la bienvenue quand j’ai besoin d’aide et que je peux toujours faire appel à la grande famille en Christ. Moi je suis gênée. J’ai coupé des légumes pour un groupe chrétien, et j’ai une éducation chrétienne, mais mes convictions sont assez vagues pour le moment et je n’ai pas envie de leur mentir. Je les remercie sans insister.

On finit par être un certain nombre autour de la table, et on se met à manger. C’est la première fois que je mange chez les Chinois – je veux dire, ailleurs  que dans un restaurant. Tout le monde s’émerveille que je sache utiliser mes baguettes. Moi aussi, quand j’y pense, ça m’impressionne. Avant, on dit la prière. Je baisse mes yeux et j’écoute la Chinoise qui parle et les autres qui disent amen.

On débarrasse la table et on réorganise les tabourets. Je me cache dans un coin, juste à côté de Wang Chao. Les Chinois prient encore. Ils parlent tour à tour et les autres répondent amen. On chante une chanson – j’ai les paroles et tout d’un coup c’est comme un karaoké : je connais deux caractères sur trois, j’entends chanter les autres (décidément, les Chinois ne chantent pas très juste, à part Fan Hui) et je devine les autres. Je m’en sors ! Je vous jure, j’arrive à chanter en chinois, à partir de la troisième phrase, je devine même le sens des paroles ! Mes voisines sont impressionnées et moi je suis toute fière. En plus, on chante trois fois de suite les deux chansons.

Après, on me prête une Bible bilingue. Les jeunes lisent tour à tour chacun une phrase, tout le chapitre 3 de la deuxième lettre de Saint Pierre. L’Indonésien n’y coupe pas, mais son Chinois n’est pas trop mauvais ; quand on arrive à moi, je fais signe de passer mon tour, mais je n’y coupe pas. On me souffle les caractères que je ne connais pas – un sur deux ou trois – et je lis tout ce que je peux, stressée, pressée, avec un accent sans doute infâme. Les Chinois sont très patients. Puis je lis la traduction en anglais et je décide que je ne suis définitivement plus dans cette mouvance chrétienne. Ces idées ce ne sont pas les miennes, je ne suis pas d’accord avec tout ça, ça m’agace un peu. Les Chinois prient et relisent un passage. L’organisatrice distribue des questionnaires, on doit partager, c’est-à-dire qu’elle parle beaucoup et que parfois elle interroge des gens qui sont obligés de trouver des choses intéressantes à dire sur le tas.

Elle se tourne vers moi. Est-ce que je comprends ? Je dis que oui. Elle demande  à Wang Chao de servir d’interprète. Je dis que ce n’est pas la peine, que je comprends bien. Je n’ai vraiment pas envie de forcer le pauvre garçon à faire ce boulot infâme et ingrat. Tu comprends ce que je dis ? Très bien, je continue. Elle continue. Wang Chao me regarde, étonné : tu comprends ce qu’elle dit ? Je lui fais signe que non. La responsable a tourné la tête mais tout le reste du groupe m’a vue. Ils rient discrètement.

Plusieurs fois pendant l’heure qui a suivi (et qui a duré elle-même plusieurs heures), elle s’est retournée vers moi avec insistance. Si elle demandait « dui ma ? » je répondais « dui », docile. Une fois, elle a eu l’air surprise que je réponde « dui ». Chaque fois qu’elle demandait si je comprenais, je disais que oui, et les gens ricanaient de nouveau. Moi, j’avais lâché le train, je discutais philo et cuisine avec Wang Chao qui n’est pas chrétien non plus, au verso des paroles des chansons. C’est alors que la demoiselle s’est tournée vers moi et m’a posé une longue question d’un air sévère. Tout le monde me regardait – j’étais le seul élément mobile de la salle, tous les autres ne bougeant pas d’un poil depuis le début de la prière – et attendait mon point de vue. Wang Chao m’a traduit la question, qui ressemblait à ceci : « il y a des gens qui lisent la Bible seuls et qui l’interprètent à leur manière, sans suivre la volonté de Dieu. Les mouvements qui découlent de ces interprétations peuvent nuire au développement de la foi. Qu’est-ce que tu en penses ? » Je prends un peu de temps, alors Wang Chao simplifie pour moi : Qu’est-ce que tu penses de la Bible ? Vite, une banalité. Il me fait un clin d’œil d’encouragement. Je me lance, et l’Indonésien traduit, je suis prête à m’expliquer en long et en large, mais ma première phrase suffit : « je pense que la Bible contient des textes symboliques et aussi des faits réels ; par exemple Adam et Eve sont des personnages symboliques. » Traduction. Réactions. Pour la première fois, j’entends des murmures. On me demande : tu penses qu’ils n’ont pas existé ? Les gens ont l’air choqués. Je réalise que ce n’est pas ce que je veux – je ne veux pas  choquer, je ne suis pas un prophète ou  une Européenne superstar, et puis je respecte ces gens qui ont besoin de la Foi, et je les aime bien après tout. Je me rattrape : « si si, ils ont certainement existé, mais il n’y avait pas qu’eux deux à la création du monde… » tout le monde se calme. J’abandonne la suite de mon raisonnement et je fais comprendre que c’est ce que je pense de la Bible. La prochaine fois promis, je place deux phrases.

Je continue à écrire des petits mots discrètement à Wang Chao, et à faire croire à la responsable que je comprends tout ce qu’elle dit. On ouvre la Bible au bon moment, et comme on a l’air de noter des réponses sur le questionnaire, elle est contente. Mais vient un moment où elle se tourne encore vers moi. « Marie, en quoi la Grâce de Dieu rend-elle ta vie meilleure ? » J’ai envie de répondre « en rien, c’est pour ça que je n’y crois plus. » mais le respect me retient – et aussi mon amitié pour Wang Chao qui fréquente beaucoup ce groupe. Je demande un peu de temps pour préparer ma réponse. Elle fait parler les autres. Je réfléchis. Si j’étais Chrétienne, en quoi la Grâce de Dieu rendrait-elle ma vie meilleure ? Wang Chao commence à avoir peur pour moi. Le masque va tomber. Les autres ont tous de beaux témoignages touchants. Il m’écrit : « s’il te plaît, fais un effort, fais semblait d’être croyante, mets-toi à la place d’une croyante… ». Je finis par écrire : « Je suis ici toute seule, loin de ma famille, loin de mes amis, loin de mon pays et de tout ce que je connais. La seule chose qui n’a pas changé dans ma vie, c’est Dieu, et je sais qu’il sera toujours là pour moi. » Fiers, nous lisons le mensonge à toute la classe. Emus, ils applaudissent. On termine la prière et ils veulent organiser mon anniversaire. Je me défile – le dernier tram va bientôt passer – et je demande à Wang Chao de me trouver une excuse. Je me sens vraiment honteuse et malhonnête d’avoir menti à des gens si adorables.

31 août 2009

Shangai, le 31 août

Pas envie de jouer au Go ce matin. J’ai traîné au lit, puis dans le bain (j’ai enfin trouvé l’eau chaude, c’est pour ça), puis derrière mon ordinateur. Un lecteur de mon blog m’a présenté un de ses amis à Shanghai, Wang Chao. C’est un étudiant joueur de Go très sympa. Il s’inquiétait pour moi, il avait peur que je me perde et aussi que je me prenne la pluie en sortant, il m’a très gentiment aidée à trouver un club de Go dans mon coin puis, comme les responsables du club ne répondaient pas au téléphone, il m’a donné rendez-vous pour jouer avec moi.

Bon. Prenez une personne qui n’aime pas le poisson. Mettez-la avec un inconnu très gentil qui parle bien anglais, et qui lui demande si elle aime le poisson. Poliment, elle répond que oui. Prenez un immense poisson, disons, un poisson long de 40 centimètres, à la chair tendre et à la peau croustillante ; plongez-le dans un immense bouillon pimenté de petits légumes. Servez avec un bol de riz, tout au fond d’un minuscule restaurant derrière la station de métro. En une demi-heure, elle aime le poisson et s’est fait un nouvel ami. C’est magique.

Wang Chao est super sympa et très serviable. Comme il sait que je suis toute seule à Shanghai, il m’a invitée à le  rejoindre demain avec quelques amis pour une sorte de réunion de prière entre Chrétiens. C’est marrant, cette obsession des Chrétiens à être partout, je veux dire, j’ai eu une éducation catholique et tout, mais je pensais que cet aspect de ma vie serait totalement transparent en Chine ; en réalité, c’est au moins la quatrième personne qui me demande si je suis chrétienne. Je suis très curieuse de voir comment les jeunes vivent leur foi ici en Chine. Apparemment, ils sont très pratiquants, ils vont à la messe tous les dimanches et se rencontrent  le mardi pour prier, lire la Bible et en discuter autour d’un repas fraternel. Wang Chao fait la soupe, parce qu’il vient d’une région où la soupe est excellente (si j’ai bien compris), et demain il m’invite chez lui pour m’apprendre un peu de cuisine chinoise. Il est aussi bavard que moi, il me raconte des trucs de philos et aussi une histoire d’amour interdit, il me fait visiter son campus et on achète un goban à 18rmb. On se joue deux-trois parties rapides. Il a mon niveau ; comme moi, il a appris le Go seul, et n’en a jamais fait le centre de sa vie. C’est la première fois que je rencontre ce genre de personne à moins de 55 ans depuis que je suis en Chine.

Vers 16h30, je me rends au Gongren Wenhua Gong (il faudrait que je trouve le nom du quartier parce qu’apparemment il y a plein de wenhua gongs dans les grandes villes chinoises) pour le cours du soir. Laoshi2 me fait jouer contre un de ses jeunes élèves de 5 ans. De nouveau, il commente ma partie devant tout le monde. Puis il me fait jouer en direct contre un autre élève. Il encourage le pauvre petit, développe des séquences sur le grand tableau, mais finalement c’est quand même moi qui gagne. Je suis toute contente d’apporter dans cette école mon expérience du Penglai, où le style est très différent. Laoshi2 dit que j’ai un jeu intéressant parce que je n’ai pas les mêmes habitudes, en tant qu’étrangère. Ah oui, c’est l’autre point de satisfaction :  je commence à comprendre la plupart des choses qu’il dit !

Je pensais souper au petit resto de nouilles que j’aime bien, mais c’est fermé depuis quelques jours. Je suis rentrée juste à côté, je pensais que c’était des nouilles aussi parce que les gens mangeaient dans d’immenses bols brûlants. En fait, c’était pas du tout ça. Il fallait choisir dans de grands frigos des légumes et de la viande et des champignons, et aussi des nouilles, puis il fallait comprendre le monsieur qui voulait savoir la quantité de piment (en fait la quantité m’importe peu, pour moi l’important c’est d’avoir compris  la question, en l’occurrence, j’avais pas compris du tout). Après, il cuisait tout avec de l’eau et un peu d’huile pimentée, et c’était… pas très bon. Dommage.

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30 août 2009

Shanghai, le 30 août

Il a fait très frais cette nuit, j’ai dû me lever pour prendre une couette, à ma plus grande surprise. Une vague de froid a recouvert la Chine et il fait 5°C dans le Nord. Ici à Shanghai, il fait 21°C, ce qui est quand même froid par rapport à nos habitudes. Moi, je suis contente.

Je suis arrivée vers 9h au Penglai Gongyuan, impatiente de rencontrer laoshi1².  Un vieux monsieur qui passait par là est venu me saluer, mais il ne parlait pas anglais et n’avait pas 80 ans, et il n’avait pas l’air  de marcher sur la Voie du Go avec philosophie, donc je me suis dit que ce n’était pas ce fameux laoshi1². Laoshi1 m’a mise sur tygem où je suis enfin 1k, et pendant que je jouais, un vieux monsieur est arrivé, m’a saluée en anglais, et s’est mis à fumer avec laoshi1 (ils fumaient tous les deux comme des Turcs et l’odeur de la cigarette me rappelait le Pantin, mon premier club de Go à Bruxelles).  Un autre monsieur est arrivé, il a regardé ma partie avec intérêt, puis laoshi1 leur a mis les dernières parties de Gu Li et ils ont commencé à discuter avec beaucoup d’animation pendant que je terminais sagement d’éclater des 1k sur Tygem. Quand je me suis retournée, il y avait trois vieux monsieurs d’environ 80 ans, qui kibbitzaient en shanghaien mais me parlaient en mauvais anglais ; j’aurais dû m’en douter, la langue chinoise est ambigüe, et laoshi1² est en fait trois personnes. Ce sont de  vieux amis qui n’arrêtent pas de se lancer des fleurs les uns aux autres. Au bout de quelques minutes, laoshi1²a me propose une partie. Laoshi1²b vient me réciter les titres et les victoires de laoshi1²a, et laoshi1²c approuve avec respect. Je prends trois pierres ; je les place à la mode chinoise, ce que tout le monde trouve normal, mais qui me met très mal à l’aise, parce que cette bête pierre au tengen elle ne me sert à rien de bon et c’est difficile d’avoir un fuseki cohérent… Au vingtième coup, la partie est déjà perdue d’une dizaine de points. Evidemment, je ne m’en rends pas compte, et ce n’est qu’au début du yose que j’abandonne. Laoshi1²a commente mon coup raté avec insistance et les autres laoshis de la salle confirment, l’air grave. Le petit 4d de 7 ans arrive – appelons-le Sérieux, parce qu’il ne sourit jamais et aussi parce que c’est bien fait pour lui d’avoir un nom qui évoque blanche-neige et les sept  nains.
Laoshi1 nous invite donc – Sérieux, laoshi1² et moi – dans un resto chinois classe juste à côté. Ils parlent en shanghaien et de temps à autre, ils me glissent un mot en anglais : laoshi1²a était prof universitaire dans une centrale agro-électrique (?), laoshi1²b était prof de bio à la grande unif de Shanghai, laoshi1²c a dix chats pour tuer les rats dans son jardin. Chaque fois qu’un nouveau plat arrive, à ma plus grande détresse, ils le font tourner jusqu’à ce qu’il tombe devant mon nez, et insistent pour que j’y goûte en premier. Le moins pire des plats est quand même pas très bon : ce sont des cacahuètes caramélisées avec un peu de viande fumée, qui baignent dans une espèce d’huile jaunâtre. On me présente comme du beefsteak un plat qui ressemble à un gâteau d’anniversaire : des fines tranches de poulet pané couvertes de frisottis de mayonnaise et – croyez-le ou non – de granulés de sucre multicolores. Je les regarde manger entiers les morceaux de gingembre qui garnissent les pruneaux, les jaunes d’œuf sous les morceaux de gras de porc, la salade coriandre-ail râpé, le bouillon de radis et de foie de poulet, et je finis par trouver du chou de shanghai et du riz blanc. Sauvée.

Les laoshi1² m’ont expliqué que l’école où je vais étudier, Shanghai Waiguo Yu Daxue, prend toujours la seconde place au championnat national des universités. L’équipe est composée de nombreux hauts dans et d’ex-inseis. Ils m’ont donné une carte de visite avec leurs noms, en disant qu’ils étaient très connus dans le monde du Go shanghaien, et que je devrais donner cette carte au responsable du club, comme une sorte de recommandation. Je ne suis pas sûre de voir où ils veulent en venir, mais voilà voilà. En tous cas ça fait plaisir d’apprendre que je pourrai jouer dans l’université où je vais.

Dans l’après-midi, les enfants du groupe  B sont arrivés, ainsi que d’autres vieux. Le parc était parcouru de nombreux promeneurs – sans doute grâce au climat moins étouffant que d’habitude – et mon nouvel adversaire semblait attirer le public. Il s’agissait d’un très très vieux monsieur dont les deux dents de devant, jaunes et très longues, couvraient sa lèvre inférieure ; comme il est 5d et qu’il a aussi des grandes oreilles entortillées, appelons-le laoshilapin. J’ai joué avec lui trois parties à handicap ; chacune a duré 1h30. Chacune m’a demandé beaucoup d’énergie, du début à la fin, et j’ai perdu la dernière sur des erreurs de yose parce que mon cerveau fumait à mourir. D’ailleurs c’était de la triche, ils étaient cinq ou six à jouer contre moi, les trois laoshi1² et le papa de Sérieux, et encore quelques passants, et ils se donnaient des conseils en shanghaien, en marmonnant entre leurs dents ou en criant très fort. Moi, par politesse, je n’osais même pas sortir de la pièce. Laoshi1 (j’ai appris qu’il s’appelait 石老师, ce qu’on peut traduire par Maître Pierre, et je trouve que s’appeler Pierre c’est tout un programme pour un joueur de Go) était occupé à papoter avec les mères des petits, toutes installées autour de la grande table ovale comme dans un salon de thé.

Vers 17h, le club a fermé ses portes. Je me suis retrouvée dans la rue, sans rien avoir à faire. Dépitée, je me suis dit que j’allais rentrer à l’appart, regarder un dvd en chinois et essayer de tout comprendre avec mon super dico – quand mon gsm chinois a sonné. C’est très bizarre parce que peu de personnes ont mon numéro. C’était Eric, qui allait visiter des galeries d’art avec sa copine, et qui m’invitait à les rejoindre. Trop chouette !! J’ai sauté dans le premier taxi et je me suis retrouvée à Moguanshan Lu, un quartier plein de galeries d’art contemporain. On peut se balader partout, regarder les tableaux, les sculptures, les photos, tout gratuit, et en plus les œuvres sont remplacées toutes les semaines ou tous les mois. C’était une balade très intéressante, j’ai vu des choses belles, fascinantes, choquantes, intrigantes, violentes, bien faites, et peu d’œuvres décevantes. Je ne saurais pas très bien comparer l’art contemporain chinois avec ce que je connais de l’art européen.

Après, on a mangé dans un resto japonais. C’était pas mauvais, et j’ai mangé ma première salade depuis un mois, ce qui fait très plaisir. Comme dans tous les restos japonais du monde, les serveuses étaient bien chinoises. Bon.

29 août 2009

Shanghai, le 29 août

Vendredi matin, j’ai traîné au lit pour la première fois. Je commence sans doute à m’habituer à la chaleur, ou c’est que le Go ne me motive plus autant. J’ai envoyé quelques mails pour savoir où et quand je pourrais loger après la rentrée, puis j’ai – encore – mangé un macdo. Je pensais suivre le cours de 14h à Gongren wenhua gong, mais j’ai attendu en vain, personne n’est venu. Alors je suis allée à Penglai Gongyuan, mon coin de paradis, et le prof m’attendait déjà ; il tenait à me commenter une partie perdue quelques heures plus tôt sur le net. Puis il m’a présenté un de ses élèves du groupe B, un petit bonhomme tout rond qui souriait comme un bouddha avec d’immenses oreilles. Il a gagné d’1,5 points au terme de deux heures de combat acharné. Le prof m’a dit que le soir, il y aurait d’autres élèves du même niveau au cours. Il ne m’avait d’abord pas parlé du groupe B, pensant probablement que le niveau du groupe A serait assez élevé pour moi. Bon. Je suis restée toute la journée au Penglai.

Le soir, j’ai joué contre un petit 4d de sept ans au regard féroce. Pendant la partie, un jeune homme est arrivé et s’est mis à jouer, juste à côté de moi, une partie à trois pierres contre un garçon de mon niveau. Il levait de temps à autre un regard moqueur vers ma partie.

Il me parle ; on engage la conversation, il me dit que pour quelqu’un qui a seulement passé un mois en Chine, mon niveau n’est pas trop mauvais ; je lui explique que j’étudie déjà depuis deux ans. Deux ans ? Il redescend ses petits yeux sur sa partie en riant. Je m’offusque : il doit avoir quelques années de plus que moi et ne parle même pas anglais. Et puis ça veut dire quoi, avoir honte de son niveau en langues ? Rouge de colère, je perds ma partie. Il la commente : j’ai perdu sur deux erreurs  de yose. Son niveau est excellent dans toutes les facettes du jeu ; il n’y a qu’en lecture que je le rejoins. Le lendemain, je questionne laoshi1 : le jeune homme est en fait un élève de sa première fournée, il y a quinze ans. Il est maintenant 6 dan.

En visitant les trois écoles, j’ai vite compris que les professeurs laissaient une empreinte lourde sur le style de jeu de leurs élèves. Pour laoshi1, l’influence avant tout ; on fait un immense moyo ou, si l’adversaire est de la même école, deux grands moyos qui se marient et font beaucoup d’enfants. Chez laoshi2, c’est josekis et territoires ; on compte les points de chaque échange. Pour laoshi3, le plus important c’est la lecture, et tous ses élèves lancent des combats compliqués dont eux seuls connaissent l’issue. Un jour, j’ai joué une séquence de laoshi1 au cours de laoshi2, qui m’a critiquée devant toute la classe. Le lendemain, j’ai rapporté  un tsumego de laoshi3 au cours de laoshi1, qui m’a expliqué que c’était la dernière des priorités dans l’étude parce qu’on peut lire aussi bien que son adversaire, tandis que les points dépendent des connaissances techniques. Bon.  Le jeune 6 dan quant à lui a des formes légères, des attaques précises, il joue beaucoup sur les kos et les échanges. Il a dépassé le niveau de son maître en se trouvant un style propre. Appelons-le laoshi4.

Samedi matin, j’ai reçu un coup de fil de l’école primaire où je donnerai des cours d’anglais. Ils ne sont pas encore prêts à m’accueillir et me demandent de rester à l’appart pour une durée indéterminée. Mercredi, j’irai rencontrer le directeur. Le bon côté des choses, c’est que j’ai enfin le nom et l’adresse de l’école…

J’ai essayé de retirer de l’argent mais je n’ai pu prendre que 500rmb. La machine me disait de contacter ma banque. Ca m’inquiète un peu, il est beaucoup trop tôt pour être fauchée. Bon, si vous m’aimez bien et que vous prenez du plaisir à parcourir ces lignes, contactez-moi en privé, je vous donnerai mon numéro de compte… Je rigole bien sûr =)

Je suis retournée au Penglai Gongyuan. J’ai encore joué sur Internet, puis contre d’autres élèves de mon niveau. J’ai battu deux fois un vieux monsieur qui est revenu dix minutes plus tard avec d’autres adultes du parc – ses copains. L’un d’entre eux, qui était apparemment le plus fort, m’a regardée de haut (un Chinois qui me regarde de haut : je rêve ?) et m’a dit que mon niveau était excellent (j’arrête pas d’entendre cette phrase, y compris de 7d coréens), puis il a tourné les talons. Un autre, le papa du 4d de 7 ans, a voulu jouer contre moi, heureusement laoshi1 est arrivé et a décrété qu’il était temps d’aller souper.

Un vieux monsieur  m’a expliqué à grand-peine que le prof de laoshi1 viendrait donner cours demain matin. Il a 80 ans et il a compris la philosophie du Go, contrairement à nous qui ne marchons pas sur la Voie… Bon, la philosophie du Go ça m’intéresse peu, mais ça a l’air important pour les vieux de Penglai ; pour moi le plus important c’est que ce laoshi1² parle anglais.

En revenant du club de Go j’ai vu les tarifs des cours. C’est pas si gratuit que ça, finalement. Jouer au Go dans mon coin de paradis, ça me coûtera le même prix qu’à Bruxelles. Mais sans mon coin de paradis Shanghai m’ennuie un peu…

Dans la soirée, j’ai battu deux fois de suite un petit 1 dan. C’est probablement mon niveau pour le moment. En tant que Chinoise j’en aurais honte, mais en fait, j’en suis plutôt fière.

28 août 2009

Shanghai, le 27 août

Ce matin je me suis levée en hâte, bien qu’ayant encore peu dormi : je ne savais pas à quelle heure avait lieu le cours du Penglai Gongyuan. Je suis arrivée vers 9h pour m’entendre dire que le cours était à 18h. Ce n’est pas grave, je montre à laoshi1 que j’ai réactivé mon compte sur Tygem. Il sursaute et crie : quoi, je suis toujours 4k ? Certainement pas !! Pour monter 1k, je dois gagner 30 parties. Je m’attèle donc à la tâche de latter en blitz des joueurs plus faibles que moi pendant toute la journée, sous le regard sévère de laoshi1. Je suis  dégoûtée. J’ai perdu à Guiyang les mauvaises habitudes du blitz et du jeu en ligne, et voilà que dès mon retour je dois m’y remettre. Le niveau que j’aurai monté au tournoi, je le vois peu à peu redescendre… Découragée, je vais faire un tour dans le parc. Je regarde jouer des joueurs de xiangqi ; je ne comprends pas tout, le niveau est beaucoup trop élevé pour moi. Je regarde un vieux monsieur écrire des poèmes sur le sol avec un pinceau aussi grand qu’un manche de balai imbibé d’eau. Je retourne à l’institut de Go et je reprends mes parties massacres. Le professeur essaie de me rassurer : ce soir, ses élèves viendront, ils sont 3-5d, ils sont forts et mignons et on jouera des parties intéressantes…

Au souper, je lui demande s’il faut aussi le payer. Il sursaute, réfléchit, puis me dit que c’est aussi 60 yuans par cours. Bon…

Les élèves arrivent. Je les éclate les uns après les autres. Je leur mets des raclées d’une cinquantaine de points. Ils ne voient pas les ataris, les coupes, ils ne voient pas qu’ils devraient abandonner. Je suis dégoûtée, je sors mon carnet de voyage et j’écris, mélancolique ; le professeur commente une partie, mais tout ce qu’il dit je le sais déjà, c’est du 4-5k maximum… Il me fait encore jouer contre ses élèves. Il dit que nos niveaux sont proches et les élèves murmurent en boucle « cha bu duo, cha bu duo… » comme à leur habitude (les enfants adorent murmurer des trucs en boucle quand ils jouent au Go). Finalement, le prof vient, je prends quatre pierres et je gagne de beaucoup. Il dit que j’ai bien progressé. Balalalalalala… Pourtant, j’ai joué que des parties ennuyeuses toute la journée.

28 août 2009

Guiyang - Shanghai, le 26 août

Hier soir deux Coréens se sont disputés et Lee Sanghoon est venu papoter dans notre chambre jusque 2h parce qu'il avait peur de retourner dormir près de Wudong. Ce matin, on a quand même dû se lever tôt pour prendre le bus pour aller à l'aéroport, mais Wudong avait disparu. Finalement le bus est parti sans nous et le directeur m'a offert un joli tableau et mise dans un taxi pour que je ne rate pas l'avion. J'ai eu un départ très précipité mais les Coréens et Sendi vont me manquer :(

Je suis arrivée vers 15h à Shanghai. A peine sortie de l'avion, j'ai senti une chaleur moite me recouvrir ; j'ai cru qu'elle venait d'un réacteur, mais elle me suivait partout. J'avais oublié ce que c'était, 35°C à l'ombre.

Vous vous souvenez des labyrinthes de barrières dans les parcs d'attraction ? Ben ici pour prendre le taxi c'est la même chose. On doit faire une super longue file, les taxis sont rangés sur cinq bandes et il y a deux personnes qui distribuent les clients au taxi avec des sifflets. Ce qui est très impressionnant, c'est que ça avance plutôt vite.

Bon, il fait trop chaud, pas question de rester enfermée dans l'appart sans ventilo ni clim. Je cours les rues, je retrouve le flot des voitures, les motos qui volent le trottoir, moins conciliantes que les troupeaux de buffles. Je vais m'acheter de l'eau, des draps de lit, faire des lessives, et j'emporte finalement deux adresses de clubs de Go. Comme je ne sais pas comment me rendre à Sichuan Bei Lu, je prends le métro jusqu'au Parc du Peuple, situé en plein centre, et j'en profite pour faire un petit tour.

Il fait déjà sombre, il n'y a plus personne. Le parc est propre mais peu fleuri et moins grand que ce à quoi je m'attendais. Il n'y a pas grand-chose à part quelques manèges au fond. Face à mon coin de paradis, ya pas photo.

Il y a une file immense de gens qui attendent le bus. Moi, je montre la première adresse à un chauffeur de moto-taxi un peu bourrin. Il me coiffe d'un casque d'ouvrier et se met en route ; le vent et les klaxons ne l'empêchent absolument pas de me faire la conversation. Au bout de 60 yuans, on arrive enfin au pied du bâtiment où la légende dit qu'on trouve un club de Go super sympa ainsi qu'un magasin, et des adultes qui jouent toute la journée et en soirée... En pratique, on ne trouve que des ascenseurs. Consciencieuse, je monte au 12ième étage. J'avance dans un couloir sans lumière. La seule porte éclairée donne sur des dames qui jouent aux cartes. Je ravale ma timidité et je demande : Il paraît qu'on peut jouer au Go ici ? Oui, qu'elles me disent. J’attends la suite, mais elles reprennent leur jeu. Excusez-moi, où peut-on jouer au Go ? Elles me montrent une porte au fond de la salle. Il  y a en effet une dizaine de gobans, mais personne qui joue. Elles me regardent d’un air moqueur : la porte suivante… Je frappe à la porte, et une fois de plus, je dérange un cours de Go. Une dizaine de petits bonhommes jettent des regards curieux derrière le professeur, un jeune homme à l’air sympathique. Je demande en bégayant si je peux suivre son cours, il me laisse entrer et reprend où il en était. Cette fois, les élèves sont sages et studieux, et le niveau du cours est très élevé. Il commente une partie de ses élèves ; j’écoute, fascinée. Puis il fait une pause et vient me voir.

Il donne cours là-bas deux ou trois fois par semaine. Il me donne son horaire mais ce n’est pas le même en septembre, je ne comprends pas tout. Les cours coûtent 60 yuan de l’heure et il faut lui téléphoner avant de venir. Le cours est réservé aux dans. Je lui demande si j’ai le niveau, il me répète qu’il faut que je lui téléphone. Finalement, il me fait jouer contre un de ses élèves. Le petit m’écrase. Je joue mal, ses camarades se moquent de moi, je tiens bon, je rentre d’un tournoi à neuf défaites, j’ai vu pire… Puis je joue contre un autre petit garçon. Intimidée, je tente d’abandonner en début de chuban. Tout le monde crie et appelle le prof (appelons-le laoshi3 pour faciliter les choses, parce qu’il porte le même nom que laoshi1) qui vient, me regarde d’un air sévère, et me dit que je n’ai pas perdu. Désespérée, je continue la partie. En fin de chuban, je perds encore un groupe de pierres et j’abandonne. Rebelotte : tout le monde appelle laoshi3, qui me regarde d’un air sévère et me dit que je peux encore gagner. Je concentre toute mon énergie sur le yose. Finalement, on arrive au décompte – gênée, j’essaie d’aider mon adversaire, mais je m’y connais pas trop en règles chinoises – et il m’annonce que j’ai gagné. Ben ça alors…

Plus tard, on a fait des tsumegos. Le niveau est peut-être bien le mien, finalement. Mais dès  que le professeur a le dos tourné – et apparemment il donne cours dans deux salles à la fois – les élèves sont bruyants, ils courent partout et crient très fort, il y en a même un qui dessine au bic sur le goban… tu m’étonnes, trois heures de cours en fin de journée quand on a 7 ou 8 ans c’est pas si facile !! Mais quand le prof revient, il dit un mot, et tout le monde se calme. Il prend un bâton, frappe sur la table ou sur les élèves qui trouvent des réponses nulles aux tsumegos.

Bon comme d’habitude l’adresse du cours pour ceux que ça intéresse : 四川北路1457号12层 (Route du Sichuan, Nord, n° 1457, 12ième étage), métro : Baoshan road (lignes 3 et 4) + un quart d’heure de marche. A la sortie des ascenseurs, prendre le couloir vers la gauche, marcher jusqu’au bout : il y a une porte de verre, entrer, passer par la porte au fond, puis par la porte de droite. Cours le mercredi et le samedi de18h30 à 21h, et le dimanche de 13h30 à 18h. 60 yuans/cours. Pour le numéro du prof, contactez-moi.

25 août 2009

Guiyang, le 25 août

Hier, j'ai perdu ma première partie contre un petit garçon haut comme trois pommes. Je n'ai aucun regret, j'ai joué de mon mieux... Il était simplement beaucoup plus fort que moi.

L'après-midi, je me suis retrouvée contre Eric, qui n'avait lui aussi qu'une victoire par bye. La partie a duré presque deux heures et finalement j'ai gagné d'un point. Je suis assez contente de moi. Pour fêter ça, je me suis permis de ne pas noter la partie, alors j'ai passé un peu de temps avec les autres, on a regardé des parties de pros avec les Coréens, on a écouté de la musique (j'ai ainsi appris qu'ils étaient catholiques pratiquants et qu'ils écoutaient une musique qui ressemble à Exo en coréen), et puis je suis allée faire une promenade dans la campagne avec un Hongkongais, un Japonais et l'interprète. Le Japonais est très courageux, il se lance dans des études de Go à Xi'An sans parler un mot d'anglais ni de chinois. Il ne le fait pas au Japon parce qu'il est raide dingue de la Chine. Je pense qu'il a bien raison.

On s'est faufilés dans un champ de maïs pour avoir une plus belle vue. Derrière, il y avait un petit promontoire couvert de fleurs violettes duquel on pouvait admirer les rizières, les maïs et les tournesols à l'infini. On a décidé que ce serait notre petit coin secret. On a cueilli des fleurs, regardé les papillons, et on est rentrés juste à temps pour la partie de tournoi. J'avais des épines plein ma jupe.

De toutes façons, j'aurais jamais gagné ma partie de tournoi. Je jouais contre le Hongkongais, qui est prof de Go et 5d, aucune idée de ce qu'il fait dans les dernières tables mais il me met facilement quatre pierres hors tournoi. Mais bon, c'était quand même pas une raison pour ne plus lire ni ataris ni shichos, hein ?

Ce matin, rebelotte. On dirait que la partie contre Eric m'a épuisée. J'aurais peut-être pu gagner contre cet adversaire, il n'avait pas l'air très fort, il avait autant de victoires que moi ; mais mon petit cerveau en avait marre de réfléchir... Je n'ai pas noté les deux dernières parties, elles sont trop laides. Les bonnes résolutions, à la poubelle : je suis vraiment lasse de perdre...

J'ai perdu ma dernière partie aussi, contre une petite Taiwannaise qui me faisait peur depuis le début avec ses yeux de louve meurtrière. Mais en fait, elle est gentille, elle m'a commenté la partie et offert un porte-clef avec des pierres de Go. N'empêche qu'elle a des yeux superbes et flippants.

Bon. Imaginez une salle de cent joueurs de Go. A une extrémité, les plus forts, à savoir des 7d coréens ; à l'autre extrémité, Eric et moi, et quelques enfants qui ne jouent "que" depuis 4 ou 5 ans. Bon. Au milieu, il y a un petit garçon de 7 ans, cheveux très courts, mignon comme tout. Les Coréens ont paternalisé le petit garçon très mignon et ils prennent des photos et jouent des parties avec lui. Le petit garçon prend cinq pierres de handicap et a quand même du mal à gagner. Les joueurs qui se trouvent dans les dernières tables, par exemple le 5d que j'ai affronté hier soir, doivent prendre cinq pierres contre le petit garçon très mignon. Et moi, je dois prendre quatre ou cinq pierres contre le monsieur qui doit prendre cinq pierres contre le petit garçon qui doit prendre cinq pierres contre les Coréens. Et derrière les Coréens, il y a encore des pros qui commentent les parties sur Internet, et qui sont tellement forts que les Coréens s'inclinent avec respect quand ils les croisent. Est-ce qu'il y a encore des gens assez cruels pour m'en vouloir de n'avoir pas fait un bon résultat ?

Avec les Coréens, on est retournés dans le petit coin secret - qui n'est donc plus secret. Pendant la balade, Wudong, qui aimerait visiter la Belgique, m'a demandé avec insistance en Korchinglish : "Mali, Belugie you mei you shhhhhhht ?" en mettant ses deux mains sur son bas-ventre. Il a répété sa question une dizaine de fois ; c'était très rigolo mais incompréhensible. Finalement, il a pris le dictionnaire et on a fini par comprendre qu'il aurait aimé voir le Mannekenpis. Quelle belle image a la Belgique à l'étranger !

Après on est rentrés, on a pris une photo de groupe avec un monsieur qui criait très fort pour qu'on s'asseye dans l'ordre et qui me faisait un peu peur, puis on a assisté à la remise des prix. Le gagnant est Lee Hangsoon ; sur les trois premiers deux sont Coréens. Moi, je suis 110ième.

Après, on a un très long repas. On doit trinquer beaucoup beaucoup de fois. Etourdie par l'alcool de riz, je mange des trucs bizarres comme des scampis au melon tiède, du poulet farci aux aubergines et aromatisés à la brioche, ou encore des baozi au boeuf et à la vanille. Ca me change de mon régime riz blanc-chou de Shanghai. Les Coréens sortent comme d'habitude leur paquet de kimchi, une sorte d'algue séchée qui accompagne tous leurs repas.

Les Coréens se sont donné rendez-vous à 21h dans la chambre des gars de Macao. Pour faire passer le temps, Wudong me montre des parties de Go et on joue même à une partie à égalité. Bon, il me souffle tous les coups, mais je gagne ! Les Coréens me font beaucoup rire avec leur manière de commenter en Korchinglish "koot, koot, not koot, kuai kuai !" et  d'ajouter des mots qu'on ne comprend pas.

Puis ils vont jouer aux cartes dans le hall où il y a beaucoup de monde. Wudong joue avec quelqu'un qui parie son ordi portable. Comme Wudong a rien à parier, il se retourne, tombe sur une jolie professionnelle qui passait par là, prend son chapeau et le pose sur la table. Finalement, on remplace le chapeau par d'infâmes biscuits au crabe et aux algues dont les Coréens raffolent.

A 21h donc, on se retrouve dans la chambre des gars de Macao. On est neuf en tout : un Japonais, trois Coréens, trois Macaoiens (?), un Chinois et une Belge. Ils se répartissent en deux équipes et moi, je les regarde, fascinée. Le niveau est très élevé.

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