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Carnet de voyage d'une joueuse de Go belge en Chine
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8 janvier 2007

A quoi ressemble la vie d'une joueuse de Go ?

Extrait du journal MAA No Shinbun de novembre 2006

A quoi ressemble la vie d'une joueuse de Go ? C'est un long mystère plein de passion et de frustrations... Vous savez de quoi je parle ?

6h15: réveil difficile. Engourdie, presque tombée du lit, elle bouscule en se levant le Goban où attend, endormie au Chuban, une partie de Shusaku. Elle demeure un instant, les yeux embrouillés de sommeil, fixés sur un Ko, à chercher des menaces. Puis elle s'arrache un baîllement et descend prendre sa douche.

6h53: fourre dans le sac deux manuels d'anglais, un livre de Joseki, un bloc de feuilles, le devoir de chimie inachevé, quatre Kifu; le cours de maths, les Tsumego. Puis s'enfuit en courant vers la gare.

7h42: s'installe dans le train. Le devoir de chimie. Pas envie de travailler... A côté deux filles parlent fort.
"- Oui, elle m'a vraiment coupé les cheveux trop courts derrière, je suis affreuse!
- Je crois que le rouge à lèvre cerise me va mieux que le pêche. Il était mis sur la publicité que pour les peaux plus claires...
- Tu vas dire quoi à Frédéric pour vendredi soir ? "
Conversation Tenuki aux sujets plus que futiles, juge-t-elle. Et en un éclair, elle revoit une des blitz qu'elle avait jouées la veille. Un Dragon qu'elle a chassé si longtemps, qui a fini par s'éveiller et cracher du feu sur tout le Goban... Elle sort les Tsumego qu'elle avait imprimé et griffone. L'un après l'autre, Point Vital, Damezumari, Uttegaeshi, Point vital...

7h41: le train la crache dans le froid d'une ville grise. Dès son arrivée à l'école, elle copie le devoir de chimie d'une vosine. Sonnerie, migraine, foule d'élèves, trois étages, cours d'histoire.

9h12: prêtant une oreille distraite à la voix monocorde d'un professeur quelconque qui énonce sans passion les conséquences de l'inflation, mademoiselle ressort les Tsumego quand la fatigue l'attrappe au vol: l'effort surhumain de garder les yeux ouverts sur son cours de géo, c'est déjà tant...

igo
Image from DeviantART.

12h05: une carotte et deux tartines et un biscuit au chocolat, et un mandarine.
"- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je lis.
- Tu lis quoi ?
- Un livre.
- Tu ne sors pas ?
- Non. J'apprends un Joseki sur le Mokuhazushi, j'en ai marre de me faire Hameter.
- Euh... Bon, moi je sors.
- (silence)"

12h55: arrivée dans la classe de maths. Enfin quelque chose d'utile, qu'elle apprécie ! Car finalement les mathématiques ne sont-elles pas aussi perverses, aussi sinueuses, aussi raisonnables, aussi irrationnelles que le Go ?
On est face à un énoncé de géométrie comme face à une partie de Go. On ne sait même pas, la plupart du temps, à qui on a à faire: on comence à tâtons, progressivement, on teste quelques réponses... Et toujours l'adversaire fait rejaillir sur nous ses foudre; une égalité sans solution réelle, un Hamete, une formule indéterminée, un Tesuji, une valeur absolue de paramètre, un Ko, une intégrale, un Tsumego. Pourtant, à la base, c'était si simple. Noir, Blanc. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 0, et milady l'infini. Puis quelques règles... Quelques opérations... Les mathématiques et le Go ont atteint un degré de complexité presque humain.
Presque.

14h28: cours de philo. Etude de la considération manichéenne du monde. Gribouillis sur un bout de papier. "Du Takemiya ou du Sedol dans le coeur d'un homme et d'une femme ? Veulent-ils ces philosophes débattre sur l'enchevêtrement de Noir et de Blanc ?".

16h32: marche vers le club de Go. Il fait encore froid, peut-être parce qu'elle n'a pas dormi assez; mais le froid la saisit partout de ses gros gands piquants: il s'agrippe à ses chevilles avec un ricanement, lui ballotte les bras de son souffle strident, lui mordille les seins douloureusement. Enfin à sa droite elle reconnaît une lueur d'espoir derrière la vitre d'un café miteux: deux vieux devant un goban! Elle pousse la porte, sourire réjoui, triomphant, amusé, commande un chocolat chaud. Elle les connaît bien tous, ici. Elle s'installe à la table où jouent les deux petits vieux et s'absorbe dans le labyrinthe de Noir et Blanc. Ces deux-là ont des styles très combattifs, et quand ils jouent l'un contre l'autre, le résultat est toujours plus que passionnant. Les groupes étendent des tentacules partout autour, des tentacules entrecoupées d'autres tentacules qui s'étranglent mutuellement, se déchirent, saignent sur tout le Goban. On raconte que leurs parties ne se gagnent jamais par points, mais par abandon - ce sont de vraies boucheries et, cachée derrière son chocolat chaud, elle a presque du mal à distinguer le gagnant.
Pour passer le temps (car ces deux messieurs réfléchissent beaucoup), elle sort les Tsumego qu'elle avait imprimés et gomme, une à une, toutes les réponses. Une fois sa besogne accomplie, elle se tourne pour faire face à Sam, un garçon de son âge, qui est en train d'étudier un joseki avec trois adultes dont elle n'est pas sûre des prénoms mais qu'elle a déjà affronté plusieurs fois - le grand brun 3d, le petit gros qui a un style très calme, prudent et imbattable, le moitié chauve qui débute depuis quelques semaines.
"- Sam ! Prends ces Tsumego... C'est plus ou moins notre niveau. Quelqu'un veut jouer ?
- Moi", répond le grand brun. Ils s'affrontent du regard et elle va chercher un Goban, des pierres - sa journée commence peut-être ici.

18h12: enfin de retour à la maison. Pas la peine d'allumer l'ordinateur, on va bientôt manger. Elle ressort le gros livre de Shusaku (qui lui avait coûté si cher... Mais qu'elle ne regrette pas d'avoir acheté) et continue la partie où elle s'était interrompue la veille. Dès qu'elle pose les yeux sur le Goban, les pierres semblent reprendre vie, et c'est doux, presque sacré. Pourtant plusieurs coups passent sous ses doigts qu'elle ne comprend pas, c'en est presque frustrant. Elle finit par descendre aider sa mère à la cuisine.

18h49: "- Ca a été ta journée ma choutte ?
- Oui. J'ai battu Marc de quelques points en faisant un seki géant, c'était gros. Pourtant il avait un bon fuseki.
- Articule quand tu parles s'il te plaît, on ne comprend jamais rien..."

19h26: un interrupteur suffit. La machine se met en marche, cahot de bruits et d'onomatopées mécaniques, musique habituelle et presque rassurante. Vite, KGS. GoProblems. Un mail de Martine: des Tsumego à résoudre, comme chaque semaine. MSN, pourquoi pas. Sur KGS, une nouvelle option a été créée : l'automatch, c'est un petit bouton captivant, c'est comme un kinder-surprise. Il suffit de cliquer dessus et en une demi-seconde, un inconnu vous assène un "hi, good game" fracassant avant de vous abattre ou de se laisser dominer, pierre après pierre.

23h39: Il serait peut-être temps d'éteindre l'ordi. J'ai des devoirs, interro de bio demain. Pourvu que ce commentaire ne dure pas trop longtemps, j'ai les orteils gelés. Mais la journée fut bonne. Que fait Shusaku sur mon pyjama ?

igo
Image from DeviantART.

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Commentaires
M
Je connais ça... <br /> <br /> Attends d'être lassé du Go :-p tu apprendras la résistance ;-)<br /> <br /> Merci de me lire. Je poste de ce pas une autre nouvelle, bien plus travaillée et bien plus passionnée. Depuis, j'ai le regret de vous informer que... Je ne joue presque plus au Go ! Mais quelle importance ?
N
Il est 22h24, je finis une partie de Go. <br /> Etrange sensation que celle qui suit le combat, quelque part entre fatigue et exitation. <br /> La danse des pierres est ennivrante, d'un parfum obscur mais intense. Elles m'appellent, j'essaye de résister... Je ne peux pas.
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