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Carnet de voyage d'une joueuse de Go belge en Chine
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19 août 2009

Shanghai, le 19 août

Ce matin j'ai rejoint avec impatience mon petit coin de paradis. Le parc s'appelle Penglai Gongyuan, la petite cabane où on joue au Go a un site : http://www.penglaiweiqi.com/ et c'est mon refuge, mon jardin, mon paradis bien avant la mort. Dans ce parc l'air n'est pas rempli de brume lumineuse, c'est le soleil qui brille en personne sur les tapis de fleurs multicolores ; par les nombreuses fenêtres ouvertes de la petite maison blanche, on peut voir les oisillons voler du lilas au bambou, du bambou à l'osmanthus. Le parc n'est pas bien grand, mais on pourrait se balader longtemps dans les petites allées secrètes qui contournent les pièces d'eau et sur les petits escaliers de pierre qui grimpent la colline artificielle. Les fleurs de lotus s'épanouissent calmement avec une beauté régulière et pure ; sur les dalles de pierre chauffées par le soleil, un calligraphe trace des caractères avec de l'eau. Des petits pavillons à la mode chinoise se dressent au bord de la route de temps à autre, à une distance juste suffisante pour que le pavillon des chanteurs d'opéra ne dérangent pas celui des vieux qui papotent en s'éventant, et que celui des vieux qui jouent aux échecs ne dérange pas celui des couples qui dansent. Même le bruit des klaxons et des grues ne traverse pas le rempart épais qui entoure le jardin. Des murets blancs traversent les parterres, troués de portes rondes, et donnent une impression d'intimité et de familiarité. Au centre du parc il y a une grande maison de thé.

Bon, moi j'arrive vers 10h, et mon prof est déjà là. Il joue sur Internet - les joueurs de la petite maison blanche jouent beaucoup sur Tygem, où le jeu est plus orienté coups de formes instinctifs et blitz que ce que je connais. Le prof n'est pas très bavard, mais chaque fois que je lui propose une partie son visage s'illumine, et quand je lève les yeux vers lui il me lance toujours un sourire rayonnant. Je joue aussi avec deux petits garçons de 10 ans qui sont aussi forts que moi. Pour la première fois que je suis seule, je mange à la même table que d'autres personnes. Pas de chance, mon petit dico électronique n'a plus de batterie, si bien que la conversation se résume à ce que je suis capable de dire et qui est potentiellement intéressant pour le prof.

Vers 15h, on commence à parler de Go, je lui montre ce que j'ai appris à l'autre école, il me montre des fusekis et m'explique des trucs de direction. Pendant une heure il me montre des coups intéressants en maugréant des commentaires dans un chinois incompréhensible.

A 16h, je quitte la petite maison blanche, je traverse un petit morceau du quartier ouvrier de Shanghai, la poussière, le bruit, les klaxons, le vélo électrique qui m'a presque renversé, le marché aux poissons où on me propose d'énormes crevettes grises qui sautillent dans la grande bassine rouge...

Arrivée à l'école de Go un peu en avance, le prof me fait jouer contre un de ses élèves qui a mon niveau et peut-être 8 ans. Les petits Chinois qui jouent avec moi ont la particularité de marmonner dans leur menton, sans doute sans s'en rendre compte. C'est mignon mais parfois ça me fait rire =)

J'ai joué sérieusement et j'ai quand même failli me faire battre. Finalement, je gagnais, quand on a dû s'arrêter pour suivre le cours. La première heure était consacrée au commentaire de notre partie - ce à quoi je ne m'attendais pas du tout. Mais d'abord, syndrôme de l'européenne superstar : le prof donne un petit discours où je crois comprendre quelques phrases étonnantes : MaLi joue bien au Go, elle est étrangère et c'est rare les étrangers qui viennent en Chine étudier le Go, c'est rare aussi de voir une élève aussi sérieuse... Je rougis, je suis bien contente de ne pas comprendre le reste. Les enfants me regardent toujours avec de grands yeux fascinés, mais derrière moi j'entends les adultes (des joueurs plus forts et les parents des enfants) dire des choses que je ne comprends pas. Parfois, ça me met mal à l'aise. Plus tard, quand les enfants jouent avec moi, j'ai carrément envie de disparaître sous ma casquette. J'entends fuser des "Comment peut-elle se prétendre 1d ?" mais je ne sais pas comment l'interpréter, je n'ai aucune idée de mon vrai niveau. Je suis peut-être 1k. Le tournoi me le dira. Je pourrai même m'acheter un diplôme.

Après, le prof nous donne un cours de tsumego ; je résous le  premier sans trop de mal alors il me fait venir au tableau et je me retrouve, rouge comme une pivoine, à montrer les coups à une ribambelle de gosses de 5 ans. J'ai vraiment envie de disparaître dans un trou de souris, mais rien à l'horizon. Il me lance des fleurs. Je me promets de ne pas résoudre les deux problèmes suivants - et je tiens ma promesse.

Un jeune homme me propose une partie. Il me tend les pierres noires, sous-entendant que je suis plus faible que lui. Je rigole, c'est une blague ? Il est mignon, il a de l'assurance,  tout le monde lui parle avec respect, le prof lui demande son avis ; il doit être beaucoup plus fort que moi !!! Alors il me donne les pierres blanches. Bon, je n'arrive pas à m'expliquer ; pour ne pas perdre la face, il va falloir faire de mon mieux.

Quel malentendu... Je joue, je joue aussi bien que je peux... Il se tient droit, il ne quitte pas le plateau des yeux ; moi, je reprends ma sale manie d'être stressée par sa simple présence, il n'y a que quand les enfants passent nous regarder et nous encourager que je me détends un peu. Je lui mène pourtant la vie dure, il fait une petite erreur de lecture, mais je suis très en retard, et je laisse mourrir le gros groupe qui aurait dû me rattraper... avec un ridicule mémorable.

C'est ce moment que choisit mon voisin pour m'annoncer qu'il suivra ma progression au tournoi de Guiyang sur Sports TV. C'est une blague ??? Le tournoi est retransmis sur une chaîne nationale ? La mort !!!! 

Je rentre vers l'appart catastrophée et un peu désespérée. Je passe au lavoir : mes vêtements ne sont pas prêts. La dame m'explique tant bien que mal qu'elle pensait pouvoir me les remettre demain. Mais demain matin je suis à l'aéroport !!! Heureusement son fils parle mandarin - ce qui m'épargne de devoir mimer l'avion avec les bras. Très obligeamment, son mari me propose de venir livrer le linge chez moi dès qu'il sera repassé - et à peine ai-je fini de manger qu'on sonne en effet à ma porte. Les Chinois, je vous adore.

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